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UNE VIE AU
COMPTOIR
=C3=89tais-je en=
train
de
r=C3=AAver en ce matin de f=C3=A9vrier, o=C3=B9 bien le destin =C3=
=A9tait-il venu =C3=A0
mon
secours ?
Il me fallait
surtout raison garder, car ce genre d’exp=C3=A9rience qui vous fa=
it
changer de vie en quelques heures, et auquel vous
avez encore beaucoup de mal =C3=A0 croire, n=E2=80=99arrive pas t=
ous les
jours.
Je r=C3=A9fl=C3=A9=
chissais
aux =C3=A9v=C3=A9nements qui venaient de se passer, encore
tiraill=C3=A9e entre soulagement et culpabilit=C3=A9. Soulagement=
d=E2=80=99=C3=AAtre
enfin d=C3=A9barrasser d=E2=80=99un poids qui me pesait depuis ta=
nt d=E2=80=99ann=C3=A9es,
et en m=C3=AAme temps culpabilit=C3=A9 de ne pas avoir agit comme=
il le
fallait…
Et pourtant tout
semblait parti pour s=E2=80=99achever comme chaque fin de semaine=
, de la
mani=C3=A8re la plus ordinaire qui soit, si l’on peut dire.
Mon mari =C3=89t=
ienne
n=E2=80=99=C3=A9tait pas rentr=C3=A9 directement de son travail, =
comme =C3=A0 son
habitude d’ailleurs, il =C3=A9tait parti comme il
disait, se vider la t=C3=AAte, pitoyable excuse du picoleur qui s=
e
d=C3=A9culpabilise en accusant indirectement sa femme, son travai=
l,
la terre enti=C3=A8re, de ne pas lui offrir ce fameux vide, ou pl=
ut=C3=B4t
une pl=C3=A9nitude, allez
savoir, de toute fa=C3=A7on impossible de comprendre exactement
comment
un alcoolique, surtout pass=C3=A9 un certain degr=C3=A9 d=E2=80=99=
accoutumance,
analyse sa propre existence.
=C3=89tienne =C3=
=A9tait ce
qu’on appelle un
tacot de bar, tout comme l=E2=80=99=C3=A9tait toute sa vie durant=
mon p=C3=A8re.
Oh que oui, j=E2=80=99en
connaissais un rayon du vocabulaire bistrotier, malheureusement
pour moi, et bien malgr=C3=A9 moi, celui des charg=C3=A9s, des be=
urr=C3=A9s
comme des coins et autres expressions putassi=C3=A8res d’amateurs=
de
marie salopes.
=C3=87a avait co=
mmenc=C3=A9
toute jeune, chaque dimanche j=E2=80=99=C3=A9tais associ=C3=A9e a=
vec mon p=C3=A8re par
l’entremise de grenadines
limonades, aux =C3=A9changes verbaux du zinc et par l=C3=A0 m=C3=AA=
me, d=C3=A9j=C3=A0
partante inconsciemment sur la voie m’amenant =C3=A0 creuser ma t=
ombe
future…
J=E2=80=99en ava=
is
entendu
combien des=C2=A0:
Verse de quoi
mouiller la meule, et recharge moi les accus, remets m=E2=80=99en=
une de
derri=C3=A8re la cravate, j=E2=80=99ai pas encore mis les pompes =
=C3=A0 bascule,
et
avant d=E2=80=99avoir du vent dans les voiles,=C2=A0la dalle en p=
ente, ou
le der des der, j’suis pas encore bourr=C3=A9 comme une cantine,
alors tu m=E2=80=99en
mettra un dernier pour la route…
J’ai connu tr=C3=
=A8s
vite, et tr=C3=A8s t=C3=B4t cet environnement au parfum suave et =
volatil
d=E2=80=99anisette
conjugu=C3=A9 au tabac froid attirant comme des meutes de chiens,=
les
bandes de piliers de comptoirs affam=C3=A9s jusqu=E2=80=99=C3=A0 =
l=E2=80=99os de leur
doses plus ou moins concentr=C3=A9es de gros rouge qui tache, bla=
nc
sec cul sec, et autres mousses fra=C3=AEches =C3=A0 pression avec=
ou sans
faux col
Chaque fin de
mois
ma m=C3=A8re, ma grand-m=C3=A8re, mes tantes et tant d=E2=80=99au=
tres malheureuses
de notre entourage, peinaient pour les plus habiles, =C3=A0 cache=
r
au plus vite un peu de la paie fra=C3=AEche, avant qu=E2=80=99ell=
e ne se
dilue
sur les tombeaux de zincs, cercueils des familles aux yeux
rougies par
ceux qui en tiennent =C2=AB=C2=A0une bonne=C2=A0=C2=BB ou plut=C3=
=B4t une tr=C3=A8s
mauvaise pour =C3=AAtre plus exact.
Oui pour nous
c=E2=80=99=C3=A9tait =C3=A7a la vie, l’alcool, les cuites, les be=
uglements dans
l=E2=80=99immeuble, les yeux au beurre noir, traces violettes ici=
ou l=C3=A0,
plaies au couteau sortis du tiroir, casseroles caboss=C3=A9es et
autres fa=C3=AFences qui s=E2=80=99=C3=A9crasent brutalement entr=
e deux hurlements
sur les murs. Une violence presque
ordinaire rythm=C3=A9e par le vomis qui s=E2=80=99=C3=A9parpillen=
t du trottoir =C3=A0
l=E2=80=99escalier, de l’escalier au salon. Le plus hallucinant c=
=E2=80=99=C3=A9tait
quand j=E2=80=99entendais ma
m=C3=A8re s=E2=80=99estimer heureuse que mon p=C3=A8re =C2=AB=C2=A0=
tienne l=E2=80=99alcool=C2=A0=C2=BB,
qu=E2=80=99elle chance en effet elle avait elle, par rapport =C3=A0=
ma
grand-m=C3=A8re
qui s=E2=80=99endormait le tisonnier sur le matelas pour tenir =C3=
=A0
distance
celui qui ne contr=C3=B4lait plus ses ardeurs belliqueuses.
=C3=89tienne le =
miens
vomissait, presque =C3=A0 chaque fois, la quantit=C3=A9 de serpil=
li=C3=A8res
javellis=C3=A9es que
j=E2=80=99ai eu =C3=A0 passer derri=C3=A8re lui. Parfois je me di=
sais, c=E2=80=99est pire
qu=E2=80=99un gosse =C3=A0 qui ont changerait les couches toute s=
a vie,
l=E2=80=99alcoolique c=E2=80=99est =C3=A7a, faut s=E2=80=99en occ=
uper comme d=E2=80=99un enfant
attard=C3=A9 dont il va falloir essuyer les salissures et la cass=
e
toute son
existence durant. Mais la comparaison s=E2=80=99arr=C3=AAte l=C3=A0=
, car l=E2=80=99enfant
attard=C3=A9 lui ne vous violente pas, et ne vous fait pas
honte, il ne d=C3=A9pense pas tout l’argent du m=C3=A9nage, et ne=
casse
pas tout en hurlant et vomissant.
Un soir de plus de beuverie, =C3=89tienne a d=C3=A9gobill=C3=A9 d=
ans un
des tiroirs rest=C3=A9 ouvert de la commode, il s=E2=80=99en est =
fallu de peu
que je ne l=E2=80=99=C3=A9trangle, il a hurl=C3=A9, alors j=E2=80=
=99ai desserr=C3=A9 le
tiroir, mais j=E2=80=99=C3=A9tais pas loin de commettre l=E2=80=99=
irr=C3=A9parable ce
soir l=C3=A0, le plus fou, il ne s=E2=80=99en rappelait m=C3=AAme=
plus le
lendemain le
bitur=C3=A9 p=C3=A9t=C3=A9 jusqu=E2=80=99aux cheveux qui vous d=C3=
=A9gueulait ses queues de
renard sur le linge propre.
Mais qu=E2=80=99=
est-ce
qu=E2=80=99on avaient dans le ciboulot nous toutes dans la famill=
e =C3=A0
s=E2=80=99attirer de m=C3=A8res en filles tous ces futurs champio=
ns
olympiques
du bourre pif, ces jeunes gais lurons du comptoir pour les plus
extravertis, donnant des illusions de joyeuset=C3=A9 d=C3=A9j=C3=A0=
bien
lointaines dans nos sph=C3=A8res familiales alcooliques, comme si=
ce
qu=E2=80=99on avait sous le nez en permanence ne nous donnait pas=
la
moindre id=C3=A9e de nous =C3=A9loigner de ce qui nous ram=C3=A8n=
erai au m=C3=AAme
niveau que nos m=C3=A8res et grands m=C3=A8res quelques ann=C3=A9=
es plus tard.
Toutes on avaien=
t
=C3=A0
l=E2=80=99=C3=A9vidence =C3=A9t=C3=A9 corrompues aux m=C3=AAmes d=
uperies du rire facile
autour d=E2=80=99un verre, cette fausse aisance au sein des bistr=
ots,
le jeune alcoolique d=C3=A9butant qui c=C3=B4toie votre p=C3=A8re=
poivrot
notoire, et
trinque avec lui, parle de tout et de rien en vous zieutant de
tant =C3=A0
autre, et d=C3=A9j=C3=A0 le cercle se referme petit =C3=A0 petit =
sur
l’alcolique en devenir, et sa future
victime f=C3=A9minine qui associe sociabilit=C3=A9 et fausse ga=C3=
=AEt=C3=A9 =C3=A0 verre
qui tintera petit
=C3=A0 petit sans qu=E2=80=99elle n=E2=80=99y prenne garde, en un=
carillon cristallin
morbide=E2=80=A6
=C3=89trangler un perroquet, lever le coude=
,
basculer un godet, se rincer la dalle, =C3=A9cluser une tesse,
effacer
un guindol, s=E2=80=99envoyer un gorgeon, relever une sentinell=
e,
prendre
un glasse, s=E2=80=99humecter le gosier, prendre un pot, s=E2=80=
=99enfiler un
canon, picoler, picter, pinter, pomper, siffler, t=C3=A9ter=E2=80=
=A6
Ah
comme je le
connaissais le lexique
vomitoire employ=C3=A9 par le roi de la biture pissant n=E2=80=99importe o=C3=B9, mettant=
la bagnole au
mieux dans le foss=C3=A9, au pire brisant la vie de toute une
famille. Qu’il =C3=A9tait vif le pitancheur qui d=C3=A9fon=C3=A7=
ait les
portes =C3=A0 grands
cris, faisant pleurer femmes et enfants dans les =C3=A9tages, e=
t amenant
les pompiers =C3=A0 se d=C3=A9placer pour transporter =C3=A0 l=E2=
=80=99h=C3=B4pital le
pochetron qui ne sent m=C3=AAm=
e pas
qu’il vient de s=E2=80=99ouvrir la t=C3=AAte
Mais
cette fois pour =C3=89tienne, je ne ferai pas venir les pompier=
s,
oh que
non, il pouvait toujours courir… Mais l=C3=A0 je crois
que je ne devrait pas
utiliser
ce terme, vue ce qui se d=C3=A9roula
en l=E2=80=99occurrence cette nuit l=C3=A0…
Monsieur
avait comme =C3=A0 son habitud=
e
pass=C3=A9 sa
soir=C3=A9e tardive au bar du port, qui
aurait d=C3=BB, comme je lui
reprochais souvent, s=E2=80=99=
appeler
plut=C3=B4t bar du porc, plus
appropri=C3=A9 =C3=A0 sa client=C3=A8le…
Il
devait en tenir une sacr=C3=A9e ce soir l=C3=A0 car je n=E2=80=99=
entendis
pas hurler mon
pr=C3=A9nom en bas de l’immeuble, ni
la branl=C3=A9e
qu=E2=80=99il allait me mettre ensuite comme il me mena=C3=A7ai=
t parfois
encore.
J=E2=80=99avais juste entendu cl=
aquer la
porte en m=C3=A9tal du hall, puis plus rien.
Avant =C3=A7a, comme
beaucoup de femmes d=E2=80=99alcooliques qui se respecte si j=E2=
=80=99ose
dire…
je dormais depuis un moment d=E2=80=99un seul =C5=93il, allong=C3=A9e
sur le couvre lit avec ma robe de chambre pour faire au plus
vite la
r=C3=A9ception de la viande saoule qui risquait
comme souvent de
r=C3=A9veiller tout le quartier.
Sachant
qu=E2=80=99ensuite
il pouvait me tomber dessus pour se d=C3=A9fouler de ses nerfs
cuit=C3=A9s,
j=E2=80=99avais pris r=C3=A9cemment pour habitude de laisser, p=
ass=C3=A9 une
certaine heure, grande ouverte la
porte du palier, ainsi il pouvait entrer directement
dans l’appartement en faisant
au mieux un peu moins de tapage, et
moi je me tenais pr=C3=AAte =C3=A0 agir, silencieuse
derri=C3=A8re la porte de la chambre, attendant qu=E2=80=99il t=
itube
jusqu=E2=80=99au
lit, je refermais ensuite
celle-ci
=C3=A0 clef vite fait sur lui, et allais faire de m=C3=AAme ens=
uite avec
celle de
l=E2=80=99entr=C3=A9e, avant d’aller m=E2=80=99allonger sur le =
canap=C3=A9 du salon
jusqu=E2=80=99au
lendemain. En vieillissant
l=E2=80=99alcoolique moins vif, vous offre de nouvelles opportu=
nit=C3=A9s
de
feintes auxquelles il finit
bizarrement par s=E2=80=99habituer…
Malgr=C3=A9
tout il lui
arrivait encore parfois de
criser
en tapant sur les murs et sur la porte de notre chambre, mais depuis
quelques temps il s=E2=80=99af=
faissait
plus rapidement au travers du
matelas dans un sommeil
=C3=A9tylique.
Seulement
ce soir l=C3=A0 rien ne se passa comme pr=C3=A9vu, et
malgr=C3=A9 qu=E2=80=99il avait signal=C3=A9 sa pr=C3=A9sence a=
u bas de l=E2=80=99immeuble
par ses quelques beugleries, il ne passa pas la porte
d=E2=80=99entr=C3=A9e grande ouverte, et dans l=E2=80=99obscuri=
t=C3=A9 de la chambre o=C3=B9
je
me tenais, je commen=C3=A7ais =C3=A0 enrager de ne pas le voir =
arriver.
J=E2=80=99allais
jusqu=E2=80=99au palier, personne, o=C3=B9 =C3=A9tait-il pass=C3=
=A9=C2=A0? Je descendis
jusqu=E2=80=99au hall d=E2=80=99entr=C3=A9e, toujours rien, je scrutais =C3=A0 la lueur des
r=C3=A9verb=C3=A8res la rue, pas =C3=A2me qui vive, par
contre le froid glacial de ce
mois de
f=C3=A9vrier me pin=C3=A7ait rudement la peau =C3=A0 travers ma=
maigre robe
de chambre en
nylon. Une
fois de plus j=E2=80=99=C3=A9tais l=C3=A0, =C3=A0 courir apr=C3=
=A8s mon so=C3=BBlaud
de mari introuvable. Exc=C3=A9d=C3=A9e j=E2=80=99allais remont=
er chez nous
lorsque j=E2=80=99eus l=E2=80=99id=C3=A9e d=E2=80=99aller
voir dans l=E2=80=99immeuble a=
ccol=C3=A9
au notre.
A peine dans le hall, j=E2=80=99=
entendis
ce
grognement sourd que je
connaissais
par c=C5=93ur, et je trouve mo=
n poivrot de mari,
assis sur une marche t=C3=AAte
baiss=C3=A9e,
les bras le long du corps, inc=
apable
de faire le moindre mouvement, je vais pour l=E2=80=99aider =C3=
=A0 le
relever
et le
voil=C3=A0 qui hurle.
– Ok
tr=C3=A8s bien, j=E2=80=99ai pas envie que tu r=C3=A9veilles to=
ut le quartier,
alors tu sais quoi, tu vas rester l=C3=A0 assis sagement cette =
nuit
et quand tu auras dessaoul=C3=A9, tu te rappelleras peut-=C3=AA=
tre o=C3=B9 tu
habites, =C3=A7a te fera les pieds, =C3=A9ponge
=C3=A0 pinard que tu es.
Il ne
r=C3=A9pondit rien, les yeux abrutis de fatigue et
d=E2=80=99alcool, je d=C3=A9ci=
dais de le
planter
l=C3=A0 et de le laisser cuver j=
usqu=E2=80=99=C3=A0
l=E2=80=99aube.
Le
lendemain la sonnerie r=C3=A9p=C3=A9t=C3=A9e de ma porte d=E2=80=99entr=C3=A9e
me sortit
d=E2=80=99un sommeil comateux. Une voisine se tenait bl=C3=AAme=
sur le
palier,
elle venait me pr=C3=A9venir, mon mari avait =C3=A9t=C3=A9=
trouv=C3=A9 mort
dans l=E2=80=99escalier d=E2=80=99=C3=A0 c=C3=B4t=C3=A9.
On m=E2=80=99exp=
liqua
plus
tard, que la chute qu=E2=80=99il avait fait dans l=E2=80=99escali=
er avait bris=C3=A9
sa colonne vert=C3=A9brale, le gardant assis paralys=C3=A9 jusqu=E2=
=80=99au
matin, de ce fait il =C3=A9tait mort ainsi transit par le froid..=
.
Je dormis tr=C3=A8=
s
mal les mois qui suivirent, aujourd’hui encore je me demande si
l’ayant soulev=C3=A9 je n’ai pas involontairement contribu=C3=A9 =
=C3=A0 sa fin,
et par la m=C3=AAme priv=C3=A9 d’un de ses meilleurs client le ba=
r du
porc…
Patricia de
Montis