L’ECHO DE LA TERRE nouvelle

J’avais aperçu cette lueur douce provenant d’une faille dans la toiture, un rai de lumière de fin d’après-midi offrant ce moment béni qui fait que tout rougeoie autour de soi, cette heure dorée du photographe où, comme des sanguines naturelles, les éléments qui vous entourent deviennent tableau de maître, enluminant toute forme, et amenant cette singulière atmosphère propice aux confidences des amoureux.

Je marchais depuis un bon moment déjà, lorsque j’arrivais face à cette grosse bâtisse, deux chats se prélassaient à côté de la porte d’entrée. Le poil rôti, le flanc apaisé, ils s’étalaient à même le ciment chaud entourant la façade. Ils ne bougèrent pas même une oreille à mon approche, et donnaient à l’ensemble, cette impression de plénitude des fins d’étés, ces quelques heures où toutes les machines ont cessées de ronronner et tournoyer dans les champs, où les chemins se sont calmés des va et vient motorisés, et laissent l’ensemble des bâtiments vidés de toute activité.

Après avoir lancé quelques appels sans réponses, je m’approchais de la grange ouverte, la diagonale lumineuse s’échappant d’une ouverture lui donnait une atmosphère de chapelle, les odeurs d’encens remplacées par l’odeur forte de la paille en botte, ce parfum caractéristique, un mélange musqué de décomposition végétale, de terre battue, de poussière de tuile, mêlés aux urines de rongeurs et de chats. Cet ensemble olfactif complexe mais toujours reconnaissable qui vous fait dire les yeux fermés que vous êtes bien dans une grange à la campagne.

Les miaulements d’une portée de chatons attirèrent mon regard, deux petits museaux roses et des silhouettes tremblotantes sur leurs jeunes pattes, me firent penser qu’ils étaient nés de peu, la mère proche semblait sans méfiance, ou trop apathique pour contrer mon approche. L’ensemble formait un tableau fragile et superbe, leurs couinements venaient agrémenter cette plénitude qui m’entourait tout à coup dans ce halo doucereux. Juste au dessus d’eux, quelques outils accrochés par d’énormes clous de charpentiers s’alignaient sur les poutres, la plupart recouverts de vieilles toiles d’araignées indiquant qu’il s’agissait de toute évidence d’outils anciens, et aux vues de leurs manches déformés, ils avaient dû connaître nombre de poignes fermes et de sueurs d’hommes. Par cette usure naturelle, les vieux bois de cette armée de fourches, pioches, scies, cisailles rouillées avaient acquis une âme, et je restais admiratif à regarder ces empreintes manuelles, avec ce respect que l’on doit à ceux qui ont dû œuvrer avec ou contre la nature. Un vieux tracteur, lui aussi à l’abandon, semblait prendre une retraite paisible après avoir, sans aucun doute, connu les nombreux soubresauts de cette terre toute proche dont il ne verrait plus jamais le moindre sillon. Une partie de son assise avait été rongée par quelques rats affamés, et servait de promontoire aux poules y laissant les nombreuses traces de leurs déjections. Tout près, un empilement de cagettes en bois plein, aussi lourdes que les contenus qu’elles avaient dû transporter, m’amenaient à penser à ces lourdeurs de travail qu’avaient connu des hommes dans cette période de labeurs éprouvants, où leurs bras venaient toquer aux portes pour s’offrir le temps des récoltes, trouvant facilement preneur avec gîte et couvert, pour quelques semaines, quelques mois.

Je ne pris pas tout de suite les photos que je souhaitais, je préférais goûter l’instant et m’imprégner de ces images nobles, de ces flashes d’hommes s’essuyant les lèvres d’un revers de manche replié jusqu’au coude après une longue gorgée au goulot, ou sortant un mouchoir à carreaux d’une poche en grosse toile pour le passer rapidement sur un front dégoulinant, découvrant alors leurs aisselles auréolées, avant de reprendre de plus bel le geste sûr et accompli.

Ces images fortes, de toute évidence embellies par mon imagination, en contradiction des réalités physiques difficiles, me transportaient vers cette errance nostalgique dont les vestiges agricoles prenaient à mes yeux, toutes leurs lettres de noblesse.

Car au travers de ces marques attestant un travail harassant, d’efforts exténuant, usant aussi, mais authentiques et sains, et néanmoins valorisant dans l’abondance des plus belles récoltes, j’imaginais ces hommes qui avaient encore des valeurs fortes, la valeur de leur volonté et de leur courage, la valeur de pétrir et de façonner la terre, de tirer le meilleur du végétal ou de l’animal.

Je mis quelques minutes à me détacher de cette pensée avant de faire quelques clichés de cette magnifique grange, et des outils rendus superbes par leurs déformation, écho d’une époque révolue, écho des anciens, écho de toute une vie de travail dans une ferme.

Tit’can I

 

 
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