TAVAE
Si loin du monde
Prix Corail du Livre
De l’avis des membres du jury, il est rare qu’un livre de cette qualité, de cette intensité, soit soumis à leur appréciation.
Depuis plus de vingt ans, le Prix Corail du Livre est décerné, dans le cadre du Festival, à un ouvrage de langue française consacré au monde marin en général et présentant de réelles qualités littéraires. Il n’est pas si évident que la sélection de chaque année (de 10 à 15 ouvrages) réponde à ces critères…
Aussi, quelle satisfaction de rencontrer un texte et, qui plus est, une aventure de cette dimension!
…Le 15 mars 2OO2, Tavae RAIOAOA, pêcheur de Tahiti, âgé de 56 ans, s’embarque au lever du jour sur son « poti marara », ce bateau très particulier à la Polynésie se pilote de l’avant. Il est propulsé par un diesel de 2OO chevaux, permet cette chasse très particulière elle aussi, du « mahi-mahi ».
Le « mahi-mahi » est ce poisson que nous appelons daurade coryphène, à la chatoyant livrée bleu-vert, irisé de jaune d’or, qui file comme un éclair à la surface des eaux et peut dépasser les vingt kilos. Ce « mahi-mahi » Tavae le pêche au harpon, lancé a plus de trente noeuds sur son bateau…
Ce 15 mars, donc, le temps est parfait : vent du nord qui contrarie la mer et qui excite le poisson. La journée s’annonce belle pour Tavae qui en remercie le Seigneur. Un, deux, bientôt sept « mahi-mahi » reposent dans la glacière…c’est alors, au large de la baie de Pao-Pao, la grande baie au nord-ouest de Mooréa, que le moteur tombe en panne. Il est environ deux heures de l’après-midi. Appels radio infructueux, dérive lente sous l’effet du vent et des courants, la nuit qui vient… Tavae est seul. Il passe sa première nuit perdu en mer, ne disposant pour se couvrir que d’un ciré, de trois brassières de sauvetage et de quelques sacs de plastique. Il a en tout et pour tout une cinquantaine de litres d’eau…
La configuration du bateau ne lui laisse qu’un espace réduit, sous le pont, pour avoir au moins le buste à l’abri de l’humidité. Ses jambes, elles, resteront à l’air libre. Au petit matin Tavae constate ce qui l’entoure: « Rien, rien que le vide immense »…
Son incroyable aventure vient de commencer. Il dérivera ainsi sur plus de 12OO kilomètres à travers le Pacifique pour aboutir, après 118 jours de solitude sur Aitutaki, une île de l’archipel des îles Cook du Nord. Le récit que nous restitue de façon remarquable Lionel DUROY (Tavae est analphabète) est d’une rare intensité. Comme il le dit avec une grande modestie, Lionel DUROY n’a fait qu’écrire en français ce que Tavae lui a raconté. Il le précise bien : Ce livre est le sien. Les étapes de ce trajet qui, en toute logique, devait le conduire à la mort, nous les vivons, page à page, avec ces jours et ces nuits sans rien et ces autres où l’espoir revient : un chalutier qui passe sans le voir, la rencontre des orques, les avions aperçus, les oiseaux, les poissons qui l’accompagnent…Un des passages les plus fantastiques concerne la tempête titanesque que Tavae subit à mi-parcours. Porté par une foi profonde (Tavae est chrétien protestant et exprime sa confiance en Dieu avec cette sincérité inébranlable que nous appelons la foi du charbonnier) il gardera, tout au long de sa dérive, un dialogue constant avec Dieu. Notre société, qui traite si facilement avec dérision les hommes de foi, peut laisser plus d’un lecteur dubitatif devant ces convictions. Tavae est-il sorti de l’enfer par sa foi? Sa capacité à s’adapter aux pires circonstances? Une chance hors du commun? Il n’empêche que son récit ne peut laisser personne indifférent et qu’il impose le respect pour son courage et son humilité. Un grand livre.
L’auteur Lionel DUROY, qui a su restituer superbement le récit de Tavae, est écrivain et journaliste.
Maurice Braud