LES PETITS MENSONGES ORDINAIRES…

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Pennac: les petits mensonges ordinaires qui fondent les sociétés

« Une des plus mémorables histoires de complicités adultes au mensonge d’un enfant est la mésaventure arrivée au frère de mon ami B.. Il devait avoir douze ou treize ans, à l’époque. Comme il redoutait un contrôle de math, il demande à son meilleur copain de lui indiquer la place exacte de l’appendice. Sur quoi il s’effondre, simulant une crise terrible. La direction fait mine de le croire, le renvoie chez lui, ne serait-ce que pour s’en débarrasser. De là, les parents – à qui il en a fait d’autres – le conduisent sans grande illusion dans une clinique voisine, où, surprise, on l’opère sur-le-champ ! Après l’opération, le chirurgien apparaît, porteur d’un bocal où baigne un long machin sanguinolent et déclare, le visage rayonnant d’innocence : « J’ai bien fait de l’opérer, il était à deux doigts de la péritonite ! »
Car les sociétés se bâtissent aussi sur le mensonge bien partagé.
Ou cette autre histoire plus récente : N., proviseur d’un lycée parisien, veille à l’absentéisme. Elle fait elle-même l’appel dans ses classes de terminale. Elle tient particulièrement à l’œil un récidiviste qu’elle a menacé d’exclusion à la prochaine absence injustifiée. Ce matin-là, le garçon est absent ; c’est la fois de trop. N. appelle aussitôt la famille par le téléphone du secrétariat. La mère, désolée, lui affirme que son fils est bel et bien malade, au fond de son lit, brûlant de fièvre, et lui assure qu’elle était sur le point de prévenir le lycée. N. raccroche, satisfaite ; tout est dans l’ordre. À ceci près qu’elle croise le garçon en retournant à son bureau. Il était tout simplement aux toilettes pendant l’appel. »

Extrait de Daniel Pennac Chagrin d’école NRF 2007

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