LETTRES A LOU
En septembre 1914, Apollinaire fait connaissance à Nice de Louise de Coligny-Châtillon, qu’il appellera Lou.
Engagé volontaire, il est affecté à Nîmes, le 6 décembre, au 38e régiment d’artillerie de campagne.
En janvier et février 1915, il entretient avec elle une correspondance régulière.
Apollinaire meurt en 1918; certaines de ces lettres — les poèmes — sont publiées en 1947 sous le titre : Ombres de mon amour puis en 1959 sous le titre Poèmes à Lou.
L’ensemble de cette correspondance est publié en 1990 sous le titre : Lettres à Lou.
Texte A — Guillaume Apollinaire.
Nîmes, le 18 janvier 1915
[…]
Maintenant, je te prie de ne plus me chiner sur le métier de poète. Je sais bien que c’est gentiment mais c’est une habitude que tu prendrais facilement. D’abord être poète ne prouve pas que l’on ne puisse faire autre chose. Beaucoup de poètes ont été autre chose et fort bien — (je t’écris à la cantine — excuse ce papier, Lou chéri —). D’autre part, le métier de poète n’est pas inutile, ni fou, ni frivole. Les poètes sont les créateurs, (poète vient du grec et signifie en effet créateur et poésie signifie création) — Rien ne vient donc sur terre, n’apparaît aux yeux des hommes s’il n’a d’abord été imaginé par un poète. L’amour même, c’est la poésie naturelle de la vie, l’instinct naturel qui nous pousse à créer de la vie, à reproduire. Je te dis cela pour te montrer que je n’exerce pas le métier de poète simplement pour avoir l’air de faire quelque chose et de ne rien faire en réalité. Je sais que ceux qui se livrent au travail de la poésie font quelque chose d’essentiel, de primordial, de nécessaire avant toute chose, quelque chose enfin de divin. Je parle de ceux qui, péniblement, amoureusement, génialement, peu à peu peuvent exprimer une chose nouvelle et meurent dans l’amour qui les inspirait. Voilà, Lou, encore une lettre trop longue, si tu la lis, bien, sinon je me vengerai en poète, c’est-à-dire divinement et tu sais que la vengeance est le plaisir des dieux. Je t’aime mon Lou, mais je suis fâché que dans tes lettres de maintenant tu sembles moins fortement à moi, ce semble, qu’il y a quelques jours. Mais je suis content tout de même en prévision de la permission.
Je t’aime, Amour.