Une année à rêver
Je n’ai jamais connu d’année aussi longue que celle de mes dix ans, elle doit bien compter pour quatre ans. J’étais assis près de la fenêtre, et le spectacle de la rue m’attirait beaucoup plus que ce qui se passait en classe. J’y voyais de temps en temps une marchande ambulante, un homme à cheval, ou un enfant derrière un âne chargé de charbon. La rue réservait toujours une surprise que mon imagination se pressait d’enrichir. De temps en temps, le professeur me rappelait à l’ordre, ce qui faisait rire la classe entière. C’est ainsi que je découvris, avec stupeur, que j’étais peut-être le seul à passer de l’autre côté.
Je suis d’avis, si cela était possible, d’accorder à chaque élève une année de répit durant l’enfance. Une année entière consacrée à la rêverie. Cette année lui permettrait de se forger une vision personnelle du monde. Je me souviens de mon effarement à l’idée de me mettre en rang pour apprendre en groupe l’alphabet et les chiffres.
On se demande ce qui arrive à l’enfant qui n’a pas rêvé assez. Que devient-il plus tard ? Comment voit-il le monde ? Je crois qu’il ne le voit, malheureusement, que comme un objet à posséder. L’enfant qui rêve fait partie de l’univers, il ne cherche donc pas à le casser.
Dany Laferrière
Une année à rêver La Presse